Une madeleine 100% pur beurre
C’est toujours ce que je préfère. Une surprise qui n’attend que de me piéger sous ses airs insignifiants. Elle vous prend en traitre d’un coup, comme ça. C’est violent, intense, subliminal. C’est une sensation naïve, divine, inoubliable. Trois ans plus tôt, chez Jean-Luc Rocha à Cordeillan-Bages, je tombais en amour pour l’avant beurre. La texture nuageuse d’une crème un peu battue avait électrisé la Normande que je suis. Pourtant habituée à me gaver de beurre et de crème à longueur de temps, je n’avais jamais goûté quelque chose comme ça.
Des années plus tard, je file dîner à Palégrié il y a quelques jours. J’aurais presque envie de dire « pour changer ». Et cette fois-ci oui il y avait quelque chose de changé. Ok la déco mais surtout un écho dont j’étais la seule à percevoir le bruit.
Au milieu des grignotages du début de repas, je le remarque à peine. Quasi indifférente je déchire un bout de pain et je pénètre son intimité. Je porte le morceau à mes lèvres et…
Un peu de beurre noisette monté et me voilà propulsée dans mes souvenirs, dans mon enfance, tout droit chez Lulu avenue Foch (à Montivilliers en plein coeur de ma Normandie chérie pour être précise). Lulu c’est ma grand-tante, celle que je considère comme ma troisième grand-mère depuis toujours. Gamine je me retrouvais à passer des étés formidables dans la petite chambre bleue qui m’était réservée. On courrait les magasins à longueur de journée et je rentrais avec des valises pleines à craquer. Avec elle l’expression pourrie gâtée n’a jamais aussi bien porté son nom. Parmi ses lubies : me faire manger, manger , manger. Mon obsession des chouquettes, c’est elle. Mon amour pour le cabillaud c’est elle. Ma passion pour le beurre c’est en partie elle. Et l’intense émotion à Palégrié ce soir-là c’est elle. Elle, elle, elle, elle, elle, elle, elle, uniquement elle.
« Et pas de beurre brun, n’est-ce pas Lulu ? » Avant chaque séjour avenue Foch, ma mère s’assurait que Lulu ne passerait pas 1 livre de beurre entière pour faire cuire mon fameux tournedos. Ca, c’était sans compter son irrésistible envie de m’engraisser et de me faire plaisir. Je me délectais sans scrupule du beurre bruni que je sauçais au fond de la poêle jusqu’à la dernière goutte, avec la caution bienveillante de Lulu. Au diable gras, cancer et autres considérations médicales, je ne mangeais le tournedos presque QUE pour le beurre cuit imbibé sur des morceaux de pain ou versé sur les coquillettes trop cuites.
L’air de rien, tous ces petits détails ont construit mes émotions, mon amour, ma passion pour la gastronomie. Je dis toujours que c’est la « faute » de mes parents, mais c’est aussi celle de Lulu finalement.
Quel bonheur d’avoir de tels souvenirs…
On est tous construits par des moments comme ça, par des gens qui, dans leur affection et leur générosité, n’ont qu’une ambition : faire plaisir à ceux qu’ils aiment…
C’est très joliment écrit, l’évocation est douce et tendre, on y est, tu nous as emporté… Je sens ce goût de beurre sur ma langue, je sens cette odeur de beurre, j’en ai plein le nez, c’est puissant.
Merci à toutes les Lulu de la Terre, tu leur rends là un bel hommage.
Voila les article que j’aime sa respire la sincérité et le vécu .
Bonne et belle continuation
Merci Adrien :)
J’ai exactement les mêmes souvenirs de beurre bien cuit dans la poele que Maman faisait couler dans le cratère du petit volcan de purée !!! le steack après cette orgie « purée beurre presque noir » n’avait plus bcp d’intérêt ! Ce doit être la madeleine de pas mal de gens ! Merci.
Ahhh ce beurre noir, il en fait des ravages, quel tombeur !