Asador Etxebarri
Un coup de cœur en remplace inévitablement un autre. Une nouvelle expérience périme les précédentes. Et la place du meilleur repas de sa vie, jusqu’à un prochain dont on ignore encore l’existence, se trouve chahutée. Je n’ai pas (qu’)un resto préféré, je n’ai pas (qu’)un repas mémorable, j’en compte des centaines. A quoi bon numéroter ces instants sur une échelle somme toute très personnelle et dénuée de logique ? Pourtant, je crois bien que je tiens mon number one.
Je ne sais pas si Asador Etxebarri est le genre de resto à foutre le cul par terre à tant de gens, hormis à une poignée de foodistas excités qui remplissent le restaurant des mois à l’avance. L’excitée de service ce midi là c’était moi. Tout feu tout flamme.
La route qui emmène à Asador Etxebarri sillonne le charme brut du Pays-Basque espagnol.
Perché au premier étage d’une bâtisse imposante, le restaurant semble le seul lieu animé du minuscule village.
Sous son air populaire, le sandwich au chorizo (fait maison) se révèle raffiné avec un gras pas écœurant, et un piment discret pour un baptême du feu en douceur.
Crackers champignons.
Pain grillé et anchois fumé, quel petit bijou cette bouchée ! La dénomination de pain grillé prend ici tout son sens. La flamme vs la résistance, je regretterais presque l’invention de l’électricité…
Fromage frais de bufflonne, miel et noisettes. Onctueux et lacté à souhait.
Beurre confectionné à partir de lait de chèvre fumé, sel volcanique. En ayatollah-psychorigide-intransigeante du beurre fermier et normand, je reste stupéfaite face à cette éruption de bonheur.
Pouce-pieds. Non ce ne sont pas des doigts de dinosaures mais ça pourrait !
Gambas de Palamos (une ville sur la Costa Brava de l’autre côté de là), parmi les meilleures que vous pourrez manger et dont je raffole !
Poulpe.
Cèpes et aubergines grillés.
Œeufs brouillés et champignons.
Petits pois. Petits par la taille mais grands par le goût. Des mini grains de caviar vert roulent et craquent sous la dent !
Anchois dans leur splendeur naturelle.
Daurade.
Légumes grillés.
Un morceau de bœuf dont je me souviendrais toute ma vie. La fine pellicule de croûte caramélisée et croustillante… l’intérieur juteux… me donnent encore des frissons.
Crème glacée au lait de brebis fumé et jus de betterave.
On ne va pas en faire tout un flan, je n’étais pas venue ici pour prendre mon pied sur les desserts. Si je n’en garde pas un souvenir impérissable, j’ai aimé cette simplicité qui ne cherche pas à travestir une certaine idée de la gastronomie ronflante et gonflante.
Chez Etxebarri, il y a ce paradoxe incroyable. La puissance funeste du feu donne vie à des saveurs divines. La flamme danse sur le produit plutôt que de l’agresser. De la vraie cuisine au sens littéral du terme. L’art de cuire, la maîtrise d’une caresse brûlante.
Cette table, je la fantasmais très fort depuis des années parce qu’elle propose ce que j’aime le plus au monde : cuissons au barbecue et (de fait) saveurs fumées. Une sorte de paradis avec des goûts d’enfer. Plus d’un an après l’expérience, je prends enfin le temps de la retranscrire. Ce n’est jamais évident de se confronter à ses émotions et de les transmettre. Surtout que ce repas m’a profondément marqué. L’excitation n’a cessé de crépiter en moi à un point tel que je ne trouvais pas le sommeil le soir même. Une adresse démoniaque qui m’a rendue insomniaque.